Situation
Monsieur K a 25 ans. Je le soigne pour réhabiliter globalement sa denture. Il désire que sa mère l’accompagne jusqu’au fauteuil lors de tous ses rendez-vous car « cette présence l’apaise
de sa peur du dentiste ».
Cependant, l’accompagnante manifeste une emprise très influente sur le patient. Ses commentaires portant sur l’état bucco-dentaire de son fils le culpabilisent et entretiennent sa crainte et ses doutes.
Je suis persuadé que les séances de soins se dérouleraient bien mieux en son absence.
Puis-je m’opposer à l’entrée de l’accompagnante dans la salle d’attente alors que le patient la réclame ? Le fait de demander au proche de sortir va-t-il isoler le patient de ressources affectives précieuses ? Dois-je obligatoirement accepter sa présence ? Comment modifier ce rapport dans le soin car la maman n’est pas aidante dans cette relation ?
Réflexions du Docteur Marie-Claire Thery-Hugly
Membre de l’Académie nationale de chirurgie dentaire
Chargé de cours de psychologie aux facultés
de chirurgie dentaire de Paris
Président-fondateur de la Société de psychologie odontostomatologique et maxillo-faciale
Il est facilement imaginable que ce confrère rencontre des problèmes et ait envie de s’opposer à l’accompagnement de la mère de son patient dans la salle de soins, voire dans la salle d’attente. Mais justement, en posant la question : « Le fait de demander au proche de sortir va-t-il isoler le patient de ressources affectives précieuses ? », il est au cœur du problème.
Au vu de la situation, on comprend bien déjà que ce patient présente un trouble anxieux évident qui est « une phobie dentaire ».
Certes, ce n’est pas une phobie importante puisqu’il vient au cabinet dentaire. Un vrai phobique ne prendrait même pas rendez-vous. Sa mère, dans ce cas, lui sert « d’objet contra-phobique ». Une prise en charge psychothérapeutique par les thérapies cognitivo-comportementales (TCC)
soignerait facilement cette phobie dentaire. Sauf que nous sommes devant une autre difficulté.
Ce patient psychologiquement difficile présente les traits d’une « dépendance affective » associée à une « anxiété sociale ». Et c’est cette anxiété sociale « associée » à la dépendance affective à sa mère qui l’empêche absolument d’envisager d’être sans cette dernière.
Ce qui signifie que l’on ne peut pas faire autrement que de garder sa mère dans la salle de soins, même si elle est toxique et culpabilisante. Ce serait une erreur de refuser sa présence, le patient serait trop angoissé et ne viendrait plus se faire soigner. Pourquoi ? Parce que la personne pathologique dépendante n’est rassurée que si « l’objet de sécurité » est présent, ici sa mère. Si l’on met l’objet de sécurité dehors, il s’enfuira du fauteuil.
Contrairement au cas d’un « phobique » qui peut « tenir » même si l’on dit à « l’objet contra-phobique » d’aller dans la salle d’attente, un « anxieux dépendant » ne le peut pas. Il doit, comme un petit enfant, avoir son « objet de sécurité » dans son champ visuel. Dans le cas contraire, il serait insécurisé et ferait une bouffée d’angoisse…
Nous raisonnons là sur les hypothèses qui sont énoncées, mais on peut aussi envisager d’autres pathologies, un cas pire dans le diagnostic : « une psychose simple » « pseudo-phobique » qui se présenterait sous la même forme. La conduite à tenir serait alors la même : garder la mère dans le cabinet et établir la relation thérapeutique à trois ! Mais pas n’importe comment !
Comment s’y prendre pour que cette situation soit vivable pour le praticien et qu’il puisse poursuivre les soins le plus sereinement et efficacement possible ?
Il devra mettre en œuvre les techniques d’empathie que nous connaissons bien. Zen mais ferme ! Ni agressif ni passif. Trouver la solution pour livrer ses sentiments et faire respecter ses besoins en permettant au patient et à sa mère de satisfaire les leurs.
Il ne s’agit pas de remettre la mère en question ! Le praticien ne dira pas : « Je comprends bien que vous soyez soucieuse… Tout ce que vous pensez est peut-être vrai… », mais : « Je trouve peu souhaitable que vous soyez là, mais votre fils le demande, alors je veux bien, d’accord », « votre interférence verbale me gêne et gêne notre contrat de soins » ou encore : « tel ou tel commentaire n’est pas favorable et ne facilite pas l’engagement aux soins et je vous remercie de ne plus faire ce genre de remarques ».
Il convient également de laisser place à la créativité ! L’approche empathique cognitivo-comportementale est tout à fait propice à cela. Par exemple, le praticien peut émettre ces suggestions : « Si vous voulez, vous pouvez noter vos commentaires sur un papier et me les donner après, mais de ne plus intervenir en séance » ou encore « quand le soin sera terminé, nous pourrons prendre 2 ou 3 minutes pour faire un point ».
Ainsi, avec savoir, adresse et tolérance, toutes les valeurs et les émotions, de part et d’autre, auront été respectées et gérées en évitant le conflit. Les soins pourront reprendre dans le confort pour tous.
Réflexions de Sarah Hinsberger
Infirmière au CHU de Strasbourg
Mon expérience, somme toute très centrée sur le milieu hospitalier, puisque c’est le domaine dans lequel j’exerce mon métier d’infirmière, me permet toutefois de faire un constat pouvant se rapprocher du milieu de la chirurgie dentaire.
Souvent, les accompagnants ne sont pas les bienvenus dans la salle de soins lorsque le patient est majeur. On juge qu’il pourrait être gêné par leur présence ou que le praticien serait ainsi moins exposé à des critiques ou d’éventuelles questions. Alors que, s’agissant d’un enfant, la réponse serait presque évidente et favorable.
Pourtant, il s’avère souvent que le proche est bénéfique dans une relation où le patient est confronté à des questions très personnelles pour son bien-être. Les soins peuvent être un moment angoissant pour le patient. Le proche est un élément central pour la personne soignée.
Une personne, quelle qu’elle soit, a des émotions, un ressenti qui sont souvent exacerbés quand sa santé physique ou psychologique es défaillante.
Pour intégrer les proches dans une situation de soins, il faut avoir une réflexion globale : familiale, sociale, matérielle, psychologique.
Chaque situation est unique : les parcours de vie diffèrent, ainsi que les émotions. Un premier contact dans l’enfance, ou ultérieurement, avec un chirurgien-dentiste a pu entraîner une crainte exacerbée de la part du patient tout comme du proche. Il s’agit là d’ouvrir le dialogue et de comprendre éventuellement ce qui a pu provoquer le comportement anxiogène de la mère, donc du fils. L’écoute et l’observation du patient et de ses représentants sont essentielles pour adopter une attitude anthropologique des soins. Bien sûr, cela nécessite du temps, mais c’est un investissement pour la réussite de la démarche de soin et il ne faut pas le regretter.
Je pense que le refus d’accès de la mère aux séances de soins, si le patient réclame sa présence, risque de provoquer la perte d’adhésion totale du patient aux soins et un éventuel échec ou arrêt prématuré de ceux-ci. Il faudrait inclure la mère dans une démarche éducative : lui expliquer exactement les soins, leur durée à chaque séance, le nombre de séances et lui demander de ne pas intervenir durant les gestes mais uniquement avant et après chaque séance. Le dialogue durant la séance n’est réservé qu’au fils, en fonction de son propre ressenti. Quant à la mère, on peut lui proposer de s’exprimer sous une autre forme : d’écrire son ressenti et son questionnement durant les soins. Il faut qu’elle soit une aide, une ressource pour son fils.
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